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plus haut ? S il n avait pas accompagné ses deux collègues lors
de leur voyage extra- terrestre, ce n était pas par peur, nom d un
boulet ! Mais le digne artilleur, manchot du bras droit, était
pourvu d un crâne en gutta-percha, à la suite d un de ces acci-
dents trop communs à la guerre. Et, vraiment, en le montrant
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aux Sélénites, c eût été leur donner une piteuse idée des habi-
tants de la Terre, dont la Lune, après tout, n est que l humble
satellite.
À son profond regret, J.-T. Maston avait donc dû se rési-
gner à ne point partir. Toutefois, il n était pas resté oisif. Après
avoir procédé à la construction d un immense télescope, qui fut
dressé sur le sommet de Long s Peak, l un des plus hauts som-
mets de la chaîne des montagnes Rocheuses, il s y était trans-
porté de sa personne. Puis, dès que le projectile eut été signalé,
décrivant sur le ciel sa majestueuse trajectoire, il n avait plus
quitté son poste d observation. Là, devant l oculaire du gigan-
tesque instrument, il s était donné pour tâche de chercher à sui-
vre ses amis, dont le véhicule aérien filait à travers l espace.
On devait les croire à jamais perdus pour la Terre, les au-
dacieux voyageurs. En effet, ne pouvait-on craindre que le pro-
jectile, maintenu dans une nouvelle orbite par l attraction lu-
naire, fût astreint à graviter éternellement autour de l astre des
nuits comme un sous-satellite ? Mais non ! Une déviation, que
l on pourrait appeler providentielle, avait modifié la direction
du projectile. Après avoir fait le tour de la Lune au lieu de
l atteindre, entraîné dans une chute progressivement accélérée,
il était revenu vers notre sphéroïde avec une vitesse qui égalait
cinquante sept mille six cents lieues à l heure, au moment où il
s engloutissait dans les abîmes de la mer.
Heureusement, les masses liquides du Pacifique avaient
amorti la chute, qui avait eu pour témoin la frégate américaine
Susquehanna. Aussitôt la nouvelle en fut transmise à J.-T. Mas-
ton. Le secrétaire du Gun-Club revint en toute hâte de
l observatoire de Long s Peak, afin d opérer le sauvetage. Des
sondages furent poursuivis dans les parages où s était abîmé le
projectile, et le dévoué J.-T. Maston n hésita pas à revêtir l habit
du scaphandrier pour retrouver ses amis.
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En réalité, il n aurait pas été nécessaire de se donner tant
de peine. Le projectile d aluminium, déplaçant une quantité
d eau supérieure à son propre poids, était remonté au niveau du
Pacifique, après avoir fait un superbe plongeon. Et c est dans
ces conditions que le président Barbicane, le capitaine Nicholl et
Michel Ardan furent rencontrés à la surface de l Océan : ils
jouaient aux dominos dans leur prison flottante.
Maintenant, pour en revenir à J.-T. Maston, il faut dire que
la part prise par lui à ces extraordinaires aventures l avait mis
très en relief.
Certes, J.-T. Maston n était pas beau avec son crâne posti-
che et son avant-bras droit, emmanché d un crochet métallique.
Il n était pas jeune, non plus, ayant cinquante-huit ans sonnés
et carillonnés à l époque où commence ce récit. Mais
l originalité de son caractère, la vivacité de son intelligence, le
feu qui animait son regard, l ardeur qu il apportait en toutes
choses, en avaient fait un type idéal aux yeux de Mrs Evangélina
Scorbitt. Enfin, son cerveau, soigneusement emmagasiné sous
sa calotte de gutta-percha, était intact, et il passait encore, à
juste titre, pour un des plus remarquables calculateurs de son
temps.
Or, Mrs Evangélina Scorbitt bien que le moindre calcul lui
donnât la migraine avait du goût pour les mathématiciens, si
elle n en avait pas pour les mathématiques. Elle les considérait
comme des êtres d une espèce particulière et supérieure. Songez
donc ! Des têtes où les x ballottent comme des noix dans un sac,
des cerveaux qui se jouent avec les signes algébriques, des
mains qui jonglent avec les intégrales triples, comme un équili-
briste avec ses verres et ses bouteilles, des intelligences qui
comprennent quelque chose à des formules de ce genre :
+" +" +" Æ(x y z) dx dy dz.
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Oui ! Ces savants lui paraissaient dignes de toutes les ad-
mirations et bienfaits pour qu une femme se sentît attirée vers
eux proportionnellement aux masses et en raison inverse du
carré des distances. Et précisément, J.-T. Maston était assez
corpulent pour exercer sur elle une attraction irrésistible, et,
quant à la distance, elle serait absolument nulle, s ils pouvaient
jamais être l un à l autre.
Cela, nous l avouerons, ne laissait pas d inquiéter le secré-
taire du Gun-Club, qui n avait jamais cherché le bonheur dans
des unions si étroites. D ailleurs, Mrs Evangélina Scorbitt n était
plus de la première jeunesse ni même de la seconde avec ses
quarante-cinq ans, ses cheveux plaqués sur ses tempes, comme
une étoffe teinte et reteinte, sa bouche trop meublée de dents
trop longues dont elle n avait pas perdu une seule, sa taille sans
profil, sa démarche sans grâce. Bref, l apparence d une vieille
fille, bien qu elle eût été mariée quelques années à peine, il est
vrai. Mais c était une excellente personne, à laquelle rien
n aurait manqué des joies terrestres, si elle avait pu se faire an-
noncer dans les salons de Baltimore sous le nom de Mrs J.- T.
Maston.
La fortune de cette veuve était très considérable. Non
qu elle fût riche comme les Gould, comme les Mackay, les Van-
derbilt, les Gordon Bennett, dont la fortune dépasse le milliard,
et qui pourraient faire l aumône à un Rothschild ! Non qu elle
possédât trois cents millions comme Mrs Moses Carper, deux
cents millions comme Mrs Stewart, quatre-vingts millions
comme Mrs Crocker, trois veuves, qu on se le dise ! ni qu elle fût
riche comme Mrs Hammersley, Mrs Helly Green, Mrs Maffitt,
Mrs Marshall, Mrs Para Stevens, Mrs Mintury et quelques au-
tres ! Toutefois, elle aurait eu le droit de prendre place à ce mé-
morable festin de Fifth-Avenue Hôtel, à New-York, où l on
n admettait que des convives cinq fois millionnaires. En réalité,
Mrs Evangélina Scorbitt disposait de quatre bons millions de
dollars, soit vingt millions de francs, qui lui venaient de John P.
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Scorbitt, enrichi dans le double commerce des articles de mode
et des porcs salés. Eh bien ! cette fortune, la généreuse veuve
eût été heureuse de l utiliser au profit de J.-T. Maston, auquel
elle apporterait un trésor de tendresse plus inépuisable encore.
Et, en attendant, sur la demande de J.-T. Maston, Mrs
Evangélina Scorbitt avait volontiers consenti à mettre quelques
centaines de mille dollars dans l affaire de la North Polar Prac-
tical Association, sans même savoir ce dont il s agissait. Il est
vrai, avec J.-T. Maston, elle était assurée que l Suvre ne pouvait
être que grandiose, sublime, surhumaine. Le passé du secrétaire
du Gun-Club lui répondait de l avenir.
On juge si, après l adjudication, lorsque la déclaration de
command lui eut appris que le Conseil d administration de la
nouvelle Société allait être présidé par le président du Gun-
Club, sous la raison sociale Barbicane and Co, elle dut avoir
toute confiance. Du moment que J.-T. Maston faisait partie de
« l and Co », ne devait-elle pas s applaudir d en être la plus forte
actionnaire ?
Ainsi, Mrs Evangélina Scorbitt se trouvait propriétaire
pour la plus grosse part de cette portion des régions boréales,
circonscrites par le quatre-vingt-quatrième parallèle. Rien de
mieux ! Mais qu en ferait-elle, ou plutôt, comment la Société
prétendait-elle tirer un profit quelconque de cet inaccessible
domaine ?
C était toujours la question, et si, au point de vue de ses in-
térêts pécuniaires, elle intéressait très sérieusement Mrs Evan-
gélina Scorbitt, elle intéressait le monde entier au point de vue
de la curiosité générale.
Cette femme excellente très discrètement d ailleurs avait
bien tenté de pressentir J.-T. Maston à ce sujet, avant de mettre
des fonds à la disposition des promoteurs de l affaire. Mais J.-T.
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